image site moulinL’abbé Grandidier, célèbre historien, écrit en 1781, qu’on compte en 1773, 1650 moulins en Alsace qui comportent en grande majorité deux à trois fonctions : farine, huile et foulon à chanvre, ce qui est le cas pour notre village. La plupart ont été construits au 17e siècle et au courant du 18esiècle. Notre moulin, ou plutôt nos moulins ressemblaient sans doute à notre presbytère qui est un témoin des architectures de cette époque.

Dans le village, sinistré par les belligérants qui se succèdent pendant la guerre de Trente Ans et où seules survivent 13 familles, le moulin est abandonné.

1648 – Au lendemain du traité de Westphalie, Jean Christophe von der Gruen, ancien colonel de l’armée Weimarienne passée au service de la France, est nommé Gouverneur militaire de la garnison de Thann. Ce gentilhomme soudard pour qui faire la guerre est une affaire lucrative s’approprie, entre autres, les moulins de Bourbach qu’il remet en exploitation.

1654 – Nous sommes toujours à l’époque de Louis XIV. Au moment où les troubles de la Fronde atteignent la province, Von der Gruen fait une grave erreur politique en prenant le parti du Comte d’Harcourt, Gouverneur du roi en Alsace, qui va trahir son souverain au profit des Frondeurs. Mazarin envoie aussitôt une armée aux ordres du Maréchal de la Ferté. Celui-ci somme le gouverneur d’ouvrir les portes de la ville de Thann. Ce dernier refuse mais sa garnison capitule au bout de quelques jours. Von der Gruen est arrêté et enfermé. Sa maison est pillée, sa femme est molestée. Il est finalement relâché contre une rançon de 3 000 pistoles et, sa carrière militaire terminée, il se retire dans son château de Botmingen, près de Bâle.

1680 – Von der Gruen possède encore le moulin. Le 22 septembre 1680, Hans Christoff Landerey, agissant en son nom, signe un bail de son moulin avec le jeune meunier Urschsus Hoffscheuwer contre une redevance annuelle (Bergha 55).

1691 – Un document daté de 1691 nous apprend que l’Abbaye de Masevaux achète le moulin à farine du village de Bourbach-le-Bas, avec ses dépendances, pressoir à huile, foulon. L’acte de vente est dressé par Joseph Neff, fondé de pouvoir du noble Heinrich Ernst Straif von Leuwenstein agissant au nom de Sophie Dorothea von der Gruen. Malgré leur disgrâce, les Von der Gruen étaient donc restés propriétaires et dame Sophie a hérité du moulin.

1703 – Le meunier de Mortzwiller, Jean Georges Tschirhart loue ses deux moulins (à farine et à foulon) à Urs Hoffschirer, meunier à Bourbach-le-bas. C’est le même meunier qu’en 1680 mais l’orthographe du nom a évolué.

1773 – Une enquête faite par l’administration sur le nombre de moulins dans la Seigneurie de Masevaux fait état de l’établissement de Bourbach-le-Bas avec deux tournants (un tournant est l’ensemble formé par une meule tournante sur une meule gisante). Le moulin est signalé comme emphytéose (location de longue durée) au profit des Seigneurs de Rosen.

1777 – Un relevé daté du 18 mars 1877 mentionne «un petit moulin à blé, d’un foulon à chanvre situé d’un coté le ruisseau, de l’autre au chemin, en haut les héritiers de Thiébaut Tschirret, Maire ; par en bas se termine en pointe entre le ruisseau et le chemin. Le moulin rapporte 100 livres et doit rapporter 500 livres dans 8 ans».

1790 – Une liste fiscale conservée aux archives de Masevaux nous révèle l’identité du meunier, Thibaut Imbéri, qui exploite les moulins dont les revenus sont taxés à 22 livres et qui doit payer en plus 30 livres pour l’exercice de son métier.

1826 – Le classement communal des propriétés et activités effectuées cette année cite : un moulin et une huilerie dont le propriétaire est Voyer d’Argenson. Voyer d’Argenson les possède, par sa femme Sophie de Rosen, veuve du Duc de Broglie, dernier Seigneur de Masevaux (guillotiné à Paris). Le gouvernement lui a restitué de nombreuses propriétés et entreprises qui avaient été confisquées par les révolutionnaires.

1829 – Voyer d’Argenson abandonne ses activités. Le moulin est acheté par Hans Bohl, marchand de bois à Mortzwiller. Celui-ci l’afferme à Antoine Haffner (1811 – 1891) de Bourbach dont l’épouse, Catherine Bos, est une petite fille de Hans Bohl. Ces relations familiales expliquent le choix du locataire.

1836 – L’activité du moulin est importante. Le recensement communal concernant les professions annonce « 3 meuniers et garçons » ce qui indique qu’Antoine Haffner employait des ouvriers.

1841 – Le moulin est endommagé par un incendie le 12 juin 1841 et la déclaration de sinistre à la Préfecture confirme bien que Bohl en est le propriétaire.

1861 – Le recensement communal n’indique plus qu’un seul garçon meunier (Geiger Joseph, 19 ans). L’activité du moulin commence à décliner.

1866 – C’est la date de l’extrait cadastral relevé dans le livre des biens de la famille Dantzer-Brutto qui va me permettre de reconstituer le site des moulins dont il n’existe aucune illustration.

1900 – Une liste fiscale de cette année nous apprend que le meunier qui succède à Antoine Haffner est Eugène Meyer, d’une vieille famille bien connue au village. Ce sera le dernier meunier de Bourbach-le-Bas.

1910 – L’industriel Charles Burcklé reprend le site en 1910 et construit sur l’emplacement du moulin à farine une usine à sheds, la grande nouveauté de l’époque, où il installe une retorderie de coton qu’il appellera « d’Mehla » en souvenir du vieux moulin plusieurs fois centenaire.

Il en conservera la cave voûtée ancienne et la force hydraulique.

Avec la retorderie « du moulin », dont le bâtiment est aujourd’hui même centenaire, commence une nouvelle aventure industrielle.

Jean LAUTER

 

Sources : Archives municipales de Bourbach-le-Bas, de Masevaux, de Mortzwiller  et familiales (Antoine Haffner est mon trisaïeul).

L’histoire de Thann par J. Baumann – La maison des familles de Guebwiller.